L'écho des labos

Objets inanimés, avez-vous donc une histoire ?

3 décembre 2012

Interroger les rapports entre les innovations techniques et les sociétés au cours des trois derniers siècles, c’est l’une des pistes de recherche du laboratoire d’Histoire des technosciences en société, un entretien avec son directeur: Jean Claude Ruano-Borbalan.

Pouvez-vous nous présenter votre laboratoire et son activité ?

Professeur Jean-Claude Ruano-BorbalanLe laboratoire d’Histoire des technosciences en société (HT2S), ancien laboratoire d’Histoire, techniques, technologies et patrimoine (HTTP), regroupe des chercheurs, enseignants-chercheurs, conservateurs et archivistes autour de l’histoire générale des techniques, de la technologie et des technosciences. Dans cette perspective, nous nous interrogeons sur les formes et le développement des innovations techniques, techno-scientifiques et techno-industrielles, principalement au cours des deux ou trois derniers siècles, ainsi que sur leurs rapports aux sociétés. Nous nous interrogeons également sur les dimensions de production et de circulation des savoirs, sur les enjeux culturels ou politiques liés à la technique et aux sciences, dans les périodes dites moderne et surtout contemporaine qui, pour les historiens, remontent à la Renaissance pour la première ou à la Révolution française pour la seconde.

L’activité du laboratoire se structure donc en trois axes de recherches.
 
  • Le premier tourne autour des questions liées aux rapports entre la technique et l’environnement. Cet axe, dont l’animateur est Michel Letté, s’intéresse à des sujets comme la pollution industrielle ou les risques techniques et technologiques.
  • Le deuxième étudie la construction et la diffusion des savoirs et des cultures techniques et scientifiques, ainsi que l’innovation industrielle. Cette problématique, dont je suis responsable, analyse les savoirs et les connaissances, particulièrement scientifiques et techniques, au regard du développement des grand «systèmes techno-scientifiques» dont le développement récent est spectaculaire. Que l’on songe simplement au rôle de la chimie et de la physique dans les processus industriels du XIXe et XXe siècle, ou encore de la recherche en biologie, aux avancées de l’imagerie médicale ou de l’observation satellitaire, pour des exemples récents. Que l’on songe, à l’autre bout du champ d’interrogation, au développement massif des systèmes universitaires et de recherche, particulièrement techno-scientifiques et universitaires.
  • Enfin, le dernier axe concerne l’histoire générale des techniques, la muséologie et la muséographie. Il engage, sous la responsabilité de Serge Chambaud, directeur du Musée des arts et métiers, l’ensemble des personnels et enseignants-chercheurs dans une réflexion sur le rôle des collections du Musée ou des archives, sur la place historique du Cnam. Il articule ces activités de recherche avec l’étude de l’histoire des techniques, de la technologie et des technosciences.
Ces trois axes sont intriqués, notamment dans la réflexion et l’analyse des recherches dont j’ai l’initiative avec Girolamo Ramunni et Loïc Petitgirard, autour de la pensée, de la médiation des techniques et des sciences.  
 


L'écho des labos: Quelles sont vos activités de recherche ?

Jean Claude Ruano-Borbalan : Nous menons des études historiques sur les technologies qui permettent de construire et de faire circuler l’information, et que nous appelons les «techno-sciences cognitives». Dans cette perspective, le laboratoire HT2S est en lien avec les laboratoires de l’École Management et société (MS) membres de l’école doctorale Abbé Grégoire qui travaillent sur l’innovation, sur la formation et sur le numérique, mais aussi d’autres laboratoires du Cnam. D’ailleurs, tant par notre ancrage dans le Musée que par l’objet d’études autour des techno-sciences et sciences de l’ingénieur, nous sommes, ou avons vocation à être, en lien avec l’ensemble des laboratoires du Cnam.
Nous menons depuis des années des travaux autour de l’histoire de la construction, de l’urbanisme, ou de l’histoire générale des techniques et des métiers techniques, dirigés par André Guillerme. Dans ce registre, de nombreuses thèses sont en cours, qui étudient les techniques agricoles, l’histoire d’entreprises, d’industries, ou de métiers spécifiques, pour répertorier l’ensemble des techniques, des savoirs, des gestes techniques et savoir-faire, etc…
Michel Letté poursuit lui, depuis plusieurs années, des recherches sur les rapports entre la technique et l’environnement, en lien avec le réseau universitaire des chercheurs en histoire environnementale (Ruche), et développe des études pour analyser les risques technologiques, la pollution, les formes de conflictualité, etc…, sur un territoire précis ou selon l’activité concernée.
Un exemple encore pour illustration : nous conduisons parallèlement un travail de réflexion et de recherche déjà très avancé autour de la collecte du patrimoine technique et technologique contemporain, mené notamment sous l’impulsion de Catherine Cuenca, de Serge Chambaud, avec la participation de nombreux responsables de pôles de la culture scientifique et technique. Ce sujet est au cœur de notre troisième axe, en collaboration avec le Musée et dans le cadre de sa mission nationale de sauvegarde du patrimoine scientifique et technique contemporain.
Copyright Julien Flamand
 

L'écho des labos: Quelles sont les projets en cours?

Nous inaugurons plusieurs chantiers. Par exemple, un projet autour de l’impact de la transformation des formes de l’instrumentation et de l’observation au cours de la dernière période, notamment en lien avec le développement du numérique et de ses possibilités. Un tel programme engage des collaborations transversales au sein du Conservatoire, tant avec des laboratoires de l’École MS que de l’École Sciences industrielles et technologies de l’information (Siti). Ce programme conduit par Loïc Petitgirard étudie notamment la problématique de la métrologie au Cnam (envisagée sur le plan historique/épistémologique et institutionnel, à travers l’histoire de l’Institut national de métrologie (INM) au Cnam - et donc pleinement dans une perspective de production/diffusion des savoirs métrologiques). Ce programme se développe également en lien direct avec les travaux de recherche de Claudine Fontanon, membre associée du laboratoire, sur l’histoire du Cnam. Il prévoit notamment l’organisation d’un séminaire sur la Métrologie au Cnam à horizon Septembre 2013. Ici, on n’examine pas uniquement l’évolution industrielle, technique et technoscientifique. On s’interroge également sur l’évolution de la pensée et des formes de la connaissance qui accompagne ces mutations.
Le laboratoire s’inscrit dans le processus d’excellence du Pres HéSam, et il participe à trois Labex: «Hastec» (Histoire et anthropologie des savoirs des techniques et des croyances), qui s’intéresse à l’enchevêtrement des savoirs, des techniques et des croyances et à leur importance dans les sociétés humaines passées et à venir. «CAP» (Création, art, patrimoine), qui cherche à comprendre les mutations de la société contemporaine au travers de la création, des arts et du patrimoine. Enfin, «Dynamite» (Dynamique des territoires), qui mène une étude prospective des territoires à l’aide de disciplines comme, bien sûr la géographie, mais aussi la sociologie, l’économie, l’histoire et l’archéologie.
Nous avons récemment organisé un séminaire sur les gestes techniques, soutenus par le labex Hastec, organisé par Martine Mille, doctorante du laboratoire, sous la responsabilité d’André Guillerme. Nous mettons en place, toujours au sein du labex Hastec, sous l’impulsion de Girolamo Ramunni, une étude sur les machines et objets techniques, en tant que lieux et opérateur de «croyances» dans les processus de médiation scientifiques et techniques. Notre contribution, insérée dans un ensemble plus vaste permet d’engager une réflexion contributive au vaste programme de réflexion sur les formes du savoir et de la médiation des sciences et techniques dans lequel nous nous engageons. Au sein du labex Cap, nous participons à un projet intitulé «projet progettazione», qui a pour ambition d’explorer le mot «projet» et ses différentes connotations dans les disciplines qui se croisent au sein du labex Cap (architecture, design, sciences de l’ingénieur, philosophie, histoire de l’art...) et ainsi de permettre d’observer les différentes méthodologies proposées, en parallèle avec la notion de «progettazione» : terme italien, qui n’a pas de traduction en français, qui indique le cheminement de pensée qui va de l’émergence de l’idée au projet (et, le cas échéant, sa matérialisation).
Il est important de mentionner enfin que nous implantons une action importante et durable de recherche au château de Lunéville, en lien avec la diffusion et la médiation des connaissances techniques, du patrimoine et de l’histoire des processus d’innovation industriels et techno-scientifiques.
 

L'écho des labos: Quelle est la suite du programme?

L’ambition première du laboratoire est de développer ses trois axes de recherches et notamment de réaliser des manifestations et publications dans ces différents domaines. L’un des enjeux et des objectifs majeurs est de lier ces activités de recherche, inscrites dans les débats nationaux et internationaux, avec les objectifs, les activités et les ambitions du Musée et du service commun de documentation.
Plus directement et pour réaliser ses objectifs, le laboratoire travaille actuellement à la mise en place de diverses publications et manifestations, parmi lesquelles une revue scientifique de niveau international réalisée en lien avec le Musée des arts et métiers et de nombreux partenaires du Pres HéSam, baptisée Technis, qui paraîtra à l’automne prochain. Cette revue sera le prolongement et surtout le développement des Documents pour l’histoire des techniques que le laboratoire publiait jusqu’à récemment sous une forme semestrielle. Son propos est de mettre à disposition d’un public scientifique et averti, les connaissances reconnues sur l’histoire et l’analyse des techno-sciences, notamment publiée dans les communautés de recherches françaises qui ne disposent pas à ce jour d’un tel outil. Elle est animée par un comité international, dont nous sommes actuellement en train de constituer le réseau. Nous sommes également impliqués dans un projet collectif de publication dans lequel les enjeux de la « diffusion de la culture scientifique et technique » et de la « médiation des savoirs techniques ou scientifiques » constitueront l’une des vertèbres. Les enjeux que ces initiatives entendent embrasser étant précisément défini aujourd’hui comme l’étude historique et contemporaine des rapports entre techniques, sciences, savoirs et sociétés, inscrits dans des champs organisés de recherche au plan international.
Ces projets ambitieux ne se conçoivent donc qu’en collaboration et en réseau, d’abord au sein du Cnam, mais aussi dans notre environnement de recherche, et plus spécifiquement en lien avec le réseau de recherche autour de la technique et de l’innovation du Pres HéSam dans lequel nous sommes particulièrement insérés.